Pourquoi je suis partie sur Mastodon (et venez m’y rejoindre!)

Je suis longtemps restée imperméable aux réseaux sociaux, parce que ma pratique la plus naturelle sur le web, c’est l’écriture longue de billets. J’ai donc créé ce blog, appelé de manière plus snob ‘carnet de recherche’, sur la plateforme Hypotheses développée par l’infrastructure de recherche OpenEdition, et j’y partage mes réflexions depuis près de 14 ans. Au début, nous nous lisions mutuellement, entre rédacteurs de ‘carnets’, et ça me suffisait. Le principe de création de ces espaces numériques, c’était celui du “séminaire permanent”, l’entre-soi d’universitaires ne nous dérangeait pas – c’était tellement mieux, déjà, que de parler dans le vide ! Et puis, il y a eu les réseaux sociaux. Ici, j’explique pourquoi j’y ai adhéré, pourquoi je les ai quittés, pourquoi je vous invite à réinventer la conversation sur Mastodon.

Un jour, je découvre avec stupeur que les statistiques de fréquentation de mon ‘carnet’ ont bondi. La raison ? Je participe à un colloque, dont l’organisation a été déléguée partiellement à des étudiants de master. Ceux-ci ont parlé du colloque et des intervenants sur les réseaux sociaux. Je découvre que Facebook est une formidable caisse de résonance !

Découvrir les réseaux sociaux

En rentrant du colloque, je me crée un compte sur Facebook, un autre sur Twitter, et je décide que désormais, j’y “pousserai” automatiquement mes billets, ce qui est super facile parce que Hypotheses dispose des boutons au bas de chaque billet pour les poster directement sur les réseaux sociaux.

Pendant longtemps, ma pratique des RS consiste donc seulement à y republier ce que j’écris nativement sur mon ‘carnet’. Puis peu à peu je lis un peu de ce qui se partage sur ces réseaux, et je me rends compte que les deux communautés auxquelles je m’agrège sont clairement distinctes. Sur FB, je suis suivie par des acteurs de la lecture publique, professionnels ou bénévoles, et par d’innombrables amateurs de littérature pour enfants – et je lis un peu ce qu’ils publient à leur tour (mais pas beaucoup : sur FB, il y a beaucoup de “bruit”). Sur Twitter, je suis peu suivie, mais je lis activement un certain nombre de comptes d’universitaires, ce qui me permet de récolter beaucoup d’informations intéressantes sur des publications de sciences humaines. Tout ça me va bien.

Ne plus aimer les réseaux sociaux

Et puis, les RS entament leur mue. Bientôt, je me désintéresse de Twitter : le réseau est devenu excessivement anxiogène, puis le rachat par Musk précipite la dérive détestable (avec le remplacement du joli petit oiseau bleu par un agressif X noir et blanc, qui ne dissimule qu’à peine son inspiration fachoïde). Plus personne ne voit passer mes (rares) posts, et moi je n’arrive plus à retrouver les gens que je suivais, dont les publications sont noyées dans de la propagande. La dérive est plus tardive et plus insidieuse sur FB, mais bientôt je me rends compte que je n’ai plus de plaisir à y aller : mon fil d’actualités est noyé sous les pubs, je rate les infos intéressantes de mon réseau, je n’ai plus jamais d’interactions pertinentes.

Donc mon expérience est déjà largement dégradée lorsque les positions politiques des propriétaires de chacun de ces réseaux, basculant clairement dans un techno-fascisme assumé, me décident à un retrait total. Je clôture mon compte Twitter. Sur FB, je me retire, sans fermer le compte encore – j’attends que l’équipe qui a orchestré l’opération “Hello Quitte X” propose une migration similaire, qui me permettrait de reconstituer mon réseau de manière massive !

Mais j’ai pris goût aux réseaux sociaux. J’ai besoin de l’écho qu’ils donnent à mes publications – parce que je ne me satisfais plus du tout de l’entre-soi universitaire, et que désormais ma recherche se fait au plus près de la réalité de terrain, avec des gens qui agissent. Et puis, j’ai envie de retrouver des communautés d’échange, des espaces de discussion, de rencontres ponctuelles ou plus durables autour de points sur lesquels porte mon travail.

Réinventer les réseaux sociaux

J’ai ouvert un compte Mastodon en novembre 2022, mais à l’époque, je n’y comprends rien, et ma présence y est éphémère. À l’automne 2024, les usagers universitaires que je lis sur Twitter sont massivement en train de basculer sur Bluesky : je m’y ouvre un compte à mon tour, et les y retrouve. Bluesky, ça copie Twitter : même interface ou à peu près, même logique. Pas de dépaysement (mais les fachos en moins).

Par contre, quitter FB, ça m’engage davantage. Là-bas, je suis suivie par des centaines de comptes, et je fais aussi partie d’un groupe, “professionnels de la lecture d’albums”, animé par Chloé Séguret, et ça va me manquer : manquer de lire ce que les gens y postent, manquer aussi quand je veux faire savoir un truc – notamment tout le travail de veille sur l’actualité de la recherche en littérature jeunesse, administré depuis le ‘carnet de recherche’ de l’Afreloce, Le Magasin des enfants. Comment faire ? Mastodon, qui est un RS plus éthique, parce que totalement décentralisé, n’est pas complètement intuitif. Je n’y ai pas mes marques. Je ne connais pas trop les utilisateurs, ni les usages. Au début, c’est bien terne…

Et puis, comme tout le monde est perdu, on se parle, on bricole, on tâtonne. Et aujourd’hui, je crois que je suis en mesure de guider les gens qui, comme moi, veulent s’éloigner des RS toxiques, et surtout quitter les espaces dont les propriétaires tirent du profit de nos données, un profit mis au service de projets de société racistes, masculinistes, consuméristes et destructeurs de planète.

Ce que je liste ci-dessous, c’est un peu un guide pour celles et ceux qui ont envie de s’éloigner de l’univers Meta, sans perdre le contact avec les communautés qui s’intéressent aux livres pour enfants !

Comment s’installer sur Mastodon ?

Mastodon est un réseau décentralisé. Ça signifie qu’il n’existe pas un type qui, en appuyant sur un bouton, peut un jour décider tout seul de désactiver votre compte. Mais ça présente un inconvénient : au début, on ne sait pas où s’installer.

Choisir son “instance”

En arrivant sur Mastodon, on doit ouvrir un compte sur une “instance” (c’est-à-dire sur une partie du réseau, qui communique avec toutes les autres parties : on l’appelle le Fediverse). Comment on la choisit ? Personnellement, je suis bêtement allée sur une instance liée à mon statut professionnel de chercheuse : l’instance “sciences.re” a pour vocation initiale de réunir des gens qui travaillent dans la recherche et l’enseignement supérieur.

Si c’était à refaire, je crois que je ne choisirais pas cette instance, j’irais sur une instance plus généraliste et plus rigolote. Je sais d’ailleurs que je peux très facilement changer d’instance. Mais pour l’instant ce n’est pas ma priorité : d’où je suis, je peux suivre tout le monde, et tout le monde peut me suivre, alors…

Mais vous, où vous inscrire ? Je dirais que faute pour l’instant d’une instance spécialisée dans la littérature pour la jeunesse, vous pouvez tout simplement vous inscrire sur une instance, majoritairement francophone, qui soit généraliste, vous aurez le temps plus tard d’en trouver une plus spécialisée si vous trouvez ça mieux. L’instance la plus copieuse, un peu fourre-tout, c’est mastodon.social. On peut aussi aller sur piaille.fr, une instance généraliste francophone qui a un nom marrant. Si je devais refaire, c’est là que je m’inscrirais.

Bref, mon compte a une adresse, qui combine mon nom de compte et mon nom d’instance : @CecileBoulaire@sciences.re

Créer son compte et bien se décrire

Une fois qu’on s’est créé un compte sur une instance, on définit son profil, comme sur un autre réseau social. L’intérêt de Mastodon (et du Fediverse en général), c’est qu’il fonctionne beaucoup avec des mots-clés. Par exemple, dans mon profil, je me suis décrite à l’aide des hashtags #LitteratureJeunesse et #AlbumJeunesse. En effet, la particularité du Fediverse, c’est qu’il n’y a pas d’algorithmes qui décident à notre place ce qui va apparaitre sur notre fil d’actualité : c’est à nous de construire ce fil, avec des abonnements à des comptes et à des hashtags. Donc plus on se décrit précisément, plus on devient “trouvable” par les autres comptes.

Une fois qu’on a créé son compte et nourri son profil, l’usage c’est de créer un premier post (ou “pouet”), qu’on fait précéder du hashtag #introduction. Là, on dit qui on est, et ce qu’on a l’intention de faire à partir de ce compte. Souvent, les gens se décrivent de manière très amusante – Mastodon, c’est un peu l’anti-LindedIn et son esprit “je suis à vendre, embauchez-moi”.

Chercher des comptes à suivre

C’est évidemment pour ça qu’on est sur les réseaux sociaux : on cherche à entrer en contact.

Première manière de faire : dans l’encart de recherche, on tape le hashtag qui nous intéresse (en l’occurrence, #LitteratureJeunesse) et on regarde les profils de comptes, les hashtags et les messages qui affichent eux aussi ce mot-clé. Sur chaque compte, on peut cliquer sur “suivre”. Les messages nous mènent parfois à des comptes qu’on va avoir envie de suivre aussi. Et les hashtags, ah, les hashtags…

Le truc avec le Fediverse, c’est qu’on peut s’abonner à un compte, mais aussi à un hashtag ! Il suffit de cliquer, parmi ces réponses, sur le hashtag #LitteratureJeunesse, et là, un bouton apparaît, qui propose “suivre ce hashtag”. C’est pas plus compliqué que ça… Chaque publication comportant ce hashtag apparaîtra désormais dans votre fil d’actualités.

Si on veut en savoir plus sur les hashtags, Didier Mary explique tout très clairement sur son blog.

Les “packs de découverte”

Bref : on peut assez vite repérer des comptes. Mais c’est un peu fastidieux, surtout quand on débarque. Alors, sur Bluesky comme sur Mastodon, des petits malins ont inventé les “packs de découverte“, en quelque sorte des “paquets de comptes pour nouveaux arrivants”. Comme c’est facile à faire, j’en ai créé un qui réunit une bonne centaine de comptes consacrés à la littérature pour la jeunesse.

Si on va à l’adresse du pack, on a le choix entre passer en revue tous ces comptes pour choisir ceux auxquels on a envie de s’abonner, ou cliquer une seule fois pour les suivre tous d’un coup (on pourra toujours se désabonner de l’un ou de l’autre au fil du temps). Et hop, d’un coup, on suit 100 personnes qui parlent elles aussi de littérature pour enfants ! Ce pack, je vais continuer à le nourrir, bien sûr, pour que les nouveaux arrivants trouvent, en débarquant, un grand nombre d’interlocuteurs potentiels tous réunis au même endroit.

Petit regret : pour l’instant, les éditeurs jeunesse les plus connus ne sont pas sur Mastodon…

Les groupes

L’un des grands intérêt de FB, c’était l’existence de groupes, qui fédéraient les utilisateurs autour d’un centre d’intérêt commun. Il n’y a pas nativement de fonction similaire sur Mastodon, mais puisque de nouveaux arrivants ont exprimé le regret que les groupes n’existent pas, il est possible de passer par un service tiers qui permet de créer un groupe. Je n’entre pas dans les détails techniques, ce n’est pas l’objet ici : celles et ceux qui veulent en savoir plus sur les groupes peuvent aller lire ce que Raphaël Jolivet en dit.

En tout cas, j’ai créé un “groupe” consacré à la littérature jeunesse. En fait, il s’agit simplement d’un compte, et son adresse est https://social.sciences.re/@litteraturejeunesse@a.gup.pe. Il fonctionne comme un compte normal : pour “adhérer” au groupe, il faut juste décider de suivre ce compte. Et pour publier quelque chose qui sera visible sur ce compte (donc envoyé à toutes celles et ceux qui suivent ce compte), il faut juste “taguer” ce compte quand on écrit son post – comme on le ferait avec une personne qu’on veut interpeller. En l’occurrence, j’indique dans le corps du message @litteraturejeunesse@a.gup.pe et le tour est joué.

Ce n’est pas un groupe modéré par une personne, contrairement à ce qui se passe sur FB. Donc en théorie, on peut se retrouver submergés par du spam si quelqu’un décide d’inonder ce compte avec ses propres publications. Mais franchement, sur Mastodon, ce n’est pas le principal problème pour l’instant : on se sent plutôt seuls ! Donc si le problème survenait, on a le temps de trouver une solution alternative.

L’apparence

Dernier détail – après, je m’arrête. J’ai découvert tout récemment que, contrairement à ce qui se passait sur les réseaux sociaux propriétaires, on pouvait suivre notre compte non pas depuis l’application native Mastodon (dont l’interface est un peu bof-bof), mais depuis une application alternative, qui offre une autre apparence, ou des fonctionnalités supplémentaires. J’ai compris que certains, qui ont un usage massif du Fédiverse, se servent de certaines de ces applis pour mieux ordonner les contenus qu’ils suivent. Pour moi qui ai encore un fil d’actualité un peu maigre, ce n’est pas le principal souci, mais j’ai découvert que l’un de ces services, qui s’appelle Phanpy, me permet de lire mes actualités avec une interface visuelle super épurée, très agréable !

C’est un détail, mais quand on vient de la culture écrite, et qu’on est amatrice de livres, surtout de ces beaux livres que sont les albums pour enfants, on est en général sensible à l’apparence graphique d’un support écrit. Et j’ai toujours trouvé sur l’interface de FB était si moche, si polluée par des informations parasites – de plus en plus à mesure que le réseau devenait un aspirateur à données et une vitrine commerciale. Chacun·e peut trouver une interface qui corresponde à ses usages (sur PC ou Mac, sur smartphone, pour celles et ceux qui administrent plusieurs comptes, etc.), c’est expliqué très clairement sur cette page.

Mon interface classique Mastodon
Mon interface depuis Phanpy

Pour résumer

Si on fait le bilan, je dirais que je suis satisfaite d’avoir quitté les réseaux sociaux possédés par les soutiens du pouvoir illibéral qui se met en place aux États-Unis, parce que je suis terrifiée par le pouvoir que nous les avons laissé accumuler. Mais j’ai conscience aussi d’avoir perdu en qualité d’information. Ça ne me fera pas revenir en arrière. Je pense que pas mal d’usagers de Meta sont embarrassés, comme je l’étais : partir, oui, mais pas si ça coûte la perte de tout un réseau qui est professionnellement indispensable. Donc, tout ce qui permet de construire, pas à pas, un début de communauté “littérature jeunesse” sur le Fédiverse me semble intéressant, parce que c’est de nature à accompagner celles et ceux qui prennent la décision de sauter le pas.

En résumé, si vous vous intéressez à la littérature jeunesse et que vous ouvrez un compte sur Mastodon :

Au début, vous constaterez surtout que vous ne retrouvez pas la même expérience que sur FB. C’est normal : quand on déménage, on n’a ni les mêmes gestes, ni les mêmes voisins. Mais nos valeurs, nos pratiques, nos amis restent les mêmes. Alors, les gestes et les voisins, il faudra simplement apprendre et découvrir !


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cécile Boulaire (1 mars 2025). Pourquoi je suis partie sur Mastodon (et venez m’y rejoindre!). Album '50' Consulté le 20 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13eml


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